AGONIE
L’agonie est la phase ultime de l’existence. C’est la période au cours de laquelle l’organisme parait lutter pour échapper à un glissement inévitable vers la mort. Étymologiquement, agonie vient d’ailleurs d’ἀγων qui désignait, dans la Grèce antique, le combat, la lutte.
L’agonie se caractérise par une défaillance irréversible des principales fonctions vitales. Elle dure rarement plus de 72 heures, mais elle est souvent précédée d’une phase pré-agonique qui peut s’étaler sur plusieurs jours et qui, contrairement à la phase agonique, pourrait encore être réversible.
L’agonie est un moment émotionnellement intense, qui peut être impressionnant et angoissant et qui peut donner aux proches un sentiment d’impuissance. C’est un temps important à connaître, à re-connaître et à nommer, car il demande d’ajuster les soins et les traitements du patient et de préparer l’entourage au décès qui approche.
Évaluation
Identifier les signes annonciateurs d’une agonie
Pour reconnaitre une agonie, il est recommandé de s’appuyer sur plusieurs signes cliniques.
Ils ne sont pas spécifiques et varient en fonction des pathologies, des comorbidités et des complications que présente le patient. C’est le contexte dans lequel ils surviennent, leur association et leur évolution qui en font les indices d’une mort imminente.
SIGNES GÉNÉRAUX
Phase pré-agonique |
Phase agonique
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• Fatigue croissante et intense • État grabataire (PPS ≤ 20 %) • Dépendance quasi complète • Affaiblissement de la voix • Désintérêt pour la nourriture et les boissons, fausses déglutitions • Perte de contrôle des sphincters • Dysrégulation thermique
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• Hypotonie complète
• Effacement des sillons naso-géniens • Mâchoire tombante avec des mouvements rythmés par la respiration • Regard fixe avec des yeux vitreux et larmoyants (hypersécrétion lacrymale réflexe) et des paupières entre-ouvertes
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SIGNES NEUROLOGIQUES
Phase pré-agonique |
Phase agonique
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• État de conscience fluctuant avec des périodes de somnolence de plus en plus fréquentes et un réveil de plus en plus difficile • Syndrome confusionnel possible avec éventuellement une agitation motrice, et/ou des hallucinations visuelles ou auditives
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• État comateux
• Myoclonies possibles liées aux troubles ioniques et métaboliques • Abolition du réflexe cornéen |
SIGNES RESPIRATOIRES
Phase pré-agonique |
Phase agonique
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• Hyperventilation, respiration irrégulière (Cheyne-Stokes, pauses respiratoires) • Encombrement bronchique variable
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• Respiration de plus en plus lente, superficielle et irrégulière avec des pauses de plus en plus longues • Gémissements expiratoires • Râles agoniques
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SIGNES CARDIO-VASCULAIRES ET D’HYPOPERFUSION PÉRIPHÉRIQUE
Phase pré-agonique |
Phase agonique
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• Pouls plus rapide et filant • Tension artérielle fluctuante, parfois élevée • Pâleur, teint gris et cireux • Refroidissement des extrémités • Cyanose des extrémités et péribuccale, nez pincé, marbrures des genoux (hypoperfusion cutanée) • Oligurie (hypoperfusion rénale) • Diarrhées (hypoperfusion mésentérique) • Troubles trophiques d’installation rapide au niveau des points de pression
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• Pouls ralenti et quasiment imperceptible, abolition du pouls radial • Hypotension artérielle • Cyanose généralisée • Extrémités de plus en plus froides
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Évaluer les besoins d’un patient agonique
• Évaluer de façon pluriquotidienne les besoins du patient.
• Rechercher les symptômes qui pourraient être à l’origine d’un inconfort.
• Accorder une attention particulière à la douleur, à la dyspnée, à l’encombrement respiratoire et à l’agitation.
• Rechercher les sources d’inconfort auxquelles il est possible de remédier ; vérifier systématiquement l’absence d’un globe vésical ; évaluer l’état des muqueuses buccales.
• En cas de gémissements, s’assurer qu’ils résultent d’un phénomène mécanique ou réflexe et non pas d’un symptôme gênant. Dans le doute, faire un test thérapeutique.
• Ne pas s’arrêter sur les perturbations de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle, de la température ou de la glycémie sauf si elles provoquent un inconfort
Boîte à outils
Échelle de performance pourpatients en soins palliatifs (PPS)
Démarche thérapeutique
• S’assurer que les souhaits du patient soient respectés autant que possible (p.ex. lieu de décès, présence de proches, soutien spirituel).
• Informer l’ensemble de l’équipe soignante de l’approche du décès et de l’objectif thérapeutique centré uniquement sur le confort.
• Vérifier que la décision de ne pas réanimer le patient figure bien dans le dossier de soins.
• Assurer un environnement calme et apaisant.
• Disposer d’un temps suffisant pour prendre soin du patient et de ses proches.
• S’interroger systématiquement sur la pertinence et la proportionnalité des investigations, du suivi des paramètres et des soins en cours.
• Adapter les traitements :
– Éliminer les médicaments non essentiels au confort immédiat du patient et ne conserver que ceux qui visent à soulager un symptôme gênant.
– Changer la voie d’administration des médicaments qui restent indispensables ; remplacer la voie orale par la voie parentérale (sous-cutanée ou intraveineuse), intra-rectale, sublinguale, etc.
– Arrêter la nutrition artificielle et si possible l’hydratation artificielle.
– Suspendre si possible l’oxygénothérapie.
– Vérifier auprès du cardiologue que la fonction défibrillation a bien été désactivée.
– Anticiper l’apparition de symptômes inconfortables (p.ex. râles agoniques, douleur à la mobilisation…), prévoir la médication en conséquence y compris, si la situation le demande, un protocole de détresse.
• Ajuster les soins :
– Poursuivre les soins d’hygiène jusqu’au décès, mais en les adaptant à l’état du patient, par exemple en s’abstenant de le déplacer ou de le retourner s’il est à l’agonie.
– Accorder une attention particulière aux soins de bouche et des yeux.
– Réserver les gestes invasifs (p. ex. soins d’escarre, lavement rectal évacuateur) aux situations où ils sont indispensables pour soulager l’inconfort du patient
• Expliquer aux proches les signes de l’agonie ; les préparer aux changements physiologiques qu’ils observeront (p. ex. impossibilité de manger et de boire, perte de l’état de conscience, modification de la respiration) ; les avertir de l’imminence du décès en évitant de leur donner un pronostic trop précis du temps restant à vivre (en raison de l’incertitude).
• Informer les proches des soins et des traitements qui sont et seront mis en route en clarifiant l’intention et les risques liés à ceux-ci ; les éclairer sur les raisons pour lesquelles certains médicaments sont interrompus et pourquoi d’autres sont poursuivis.
• Conforter les proches dans leur place ; favoriser leur présence et leur implication dans les soins, s’ils le souhaitent (p. ex. soins de bouche, positionnement du patient, évaluation du confort) ; les encourager à parler au patient et à le toucher, si cela répond à un désir respectif ; ou les autoriser à quitter la chambre.
• Écouter les proches, les aider à verbaliser leurs émotions et leurs craintes.
• Proposer un soutien spirituel.
• Accorder une attention particulière aux enfants en bas âge ; accueillir leurs questions en y répondant avec des mots simples, mais justes (p.ex. cancer, mort…) ; les encourager à exprimer leurs émotions et à vivre leur tristesse en ne leur cachant pas celle des adultes ; respecter leur souhait de venir visiter le patient, de voir le corps du défunt et/ou d’être présents aux funérailles, en les accompagnant et en se montrant attentif à leur ressenti et à leurs questions.
• Au moment du décès : assurer une présence discrète ; créer une ambiance propice au recueillement et à l’intimité ; inviter les proches qui le désirent à toucher le corps ; leur accorder le temps dont ils ont besoin pour faire leurs adieux au défunt.
• S’assurer que les proches puissent trouver un soutien après le décès.
Les mesures pharmacologiques visent à soulager les symptômes sources d’inconfort.
• Se référer aux principes généraux de prise en charge de la douleur.
• Poursuivre l’administration des antalgiques jusqu’au décès du patient, quel que soit son état de conscience.
• Guetter les exacerbations douloureuses qui peuvent survenir après l’arrêt d’une médication orale (p. ex. AINS, corticoïde, antiépileptique) ; adapter le traitement antalgique en conséquence.
• Repérer les douleurs de mobilisation, car elles sont fréquentes durant la phase d’agonie ; mobiliser le patient avec une grande douceur ; anticiper l’apparition d’une douleur avec un supplément d’antalgiques à donner avant la mobilisation et en respectant le délai d’action du médicament.
• En présence de gémissements, d’un visage crispé et/ou d’une agitation évoquant une douleur, faire un test thérapeutique (p.ex. 2 mg de morphine sc ou iv chez un patient opioïde naïf), puis titrer.
• Se référer aux principes généraux de prise en charge de la dyspnée.
• Éviter autant que possible l’utilisation d’oxygène.
• En présence d’une tachypnée, d’un tirage et/ou d’un visage crispé évoquant une dyspnée, faire un test thérapeutique en administrant un morphinique (p. ex. 2 mg de morphine sc ou iv chez un patient opioïde naïf), puis titrer.
• Si l’inconfort respiratoire persiste malgré l’administration du morphinique, ajouter une benzodiazépine à une dose anxiolytique (p. ex. 1 à 2 mg de midazolam sc ou iv), puis titrer.
• Face à des signes de détresse respiratoire, administrer une benzodiazépine à dose sédative (p. ex. 5 mg de midazolam sc ou iv puis 30 à 60 mg/jour en continu), puis titrer.
• Se référer aux principes généraux de prise en charge des râles agoniques.
• Informer, écouter et soutenir les proches ; les rassurer sur le fait que les râles font partie d’un processus naturel de fin de vie et n’entrainent pas en tant que tels une souffrance.
• Favoriser le drainage postural en cherchant une position qui facilite le passage de l’air et empêche l’accumulation de sécrétions au niveau pharyngé (p.ex. position de décubitus ¾ latéral).
• Recourir à une aspiration douce de l’arrière-gorge si une quantité importante de sécrétions s’est accumulée dans le pharynx ; réserver l’aspiration trachéo-bronchique aux situations d’inconfort majeur ou aux patients trachéotomisés ; administrer éventuellement un sédatif avant l’acte (p. ex. 2 à 5 mg de midazolam sc ou iv) ; éviter les aspirations fréquentes, car elles stimulent la production des sécrétions.
• Si les râles provoquent un inconfort chez le patient ou ont un caractère insupportable pour les proches, administrer un anticholinergique en tenant compte du fait qu’il n’éliminera pas les sécrétions déjà présentes et qu’il pourrait provoquer une toxicité (sécheresse buccale, rétention urinaire, agitation).
• Rechercher et traiter les causes potentiellement réversibles d’agitation ; exclure un globe vésical, un fécalome, un sevrage médicamenteux, un surdosage en morphiniques, une réaction paradoxale à une benzodiazépine ; rechercher et traiter une douleur ou une dyspnée.
• Faire un test thérapeutique avec un sédatif seul ou combiné à un neuroleptique, puis titrer.
– Lorazépam : 0,5 à 2 mg sc ou iv toutes les 4 à 6 h ou 2 à 4 mg/jour en continu
– Midazolam : 2 à 5 mg sc ou iv toutes les 2 à 4 h ou 10 à 30 mg/jour en continu
– Halopéridol : 0,5 à 2 mg sc ou iv toutes les 8 à 12 h ou 2 à 5 mg/jour en continu
• Informer, écouter et soutenir l’entourage.
• Effectuer les soins de bouche plusieurs fois par jour pour obtenir une muqueuse propre et bien hydratée.
• Nettoyer la cavité buccale, y compris la langue, les dents et le palais, à l’aide de compresses, de bâtonnets en mousse ou de cotons-tiges, deux à trois fois par jour.
– Utiliser de l’eau pour des soins préventifs.
– Ramollir les dépôts et les croûtes avec un corps gras (p. ex. vaseline, huile de paraffine).
– Penser au bicarbonate de sodium 1,4 % en cas d’halitose.
– Associer un antifongique (p. ex. nystatine) au bicarbonate en cas de mycose.
– Réserver la povidone iodée ou la chlorhexidine aux bouches très sales ou surinfectées.
– Tamponner avec une compresse imbibée d’acide tranexamique en cas de bouche hémorragique.
• Hydrater la cavité buccale, si possible toutes les 2 heures.
– Humidifier la muqueuse à l’aide de compresses ou de bâtonnets en mousse imbibés d’eau.
– Réserver les brumisateurs aux patients qui ont encore une petite capacité de déglutir.
– Éviter les bâtonnets citronnés, car leur pH dessèche la muqueuse.
• Protéger les muqueuses et les lèvres.
– Badigeonner la muqueuse buccale et la langue avec un corps gras (p. ex. vaseline liquide, huile de paraffine) ; appliquer en couche mince pour éviter les fausses déglutitions et pneumonies d’inhalation.
– Appliquer un corps gras sur les lèvres (p.ex. huile d’amande douce, vaseline, huile de paraffine) ; éviter les sticks labiaux à base de glycérine, car ils assèchent les lèvres.
• Humidifier l’air ambiant et éliminer si possible les facteurs favorisant la dessiccation (p. ex. oxygénothérapie).
Références
Littérature
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