DYSPNÉE
La dyspnée est une expérience subjective d’inconfort respiratoire qui résulte de l’interaction de composantes physiologiques, psychologiques, sociales et environnementales.
Elle peut être présente en l’absence de signes cliniques ou d’anomalies biologiques ou radiologiques. Pour évaluer sa présence et son intensité, il faut interroger le patient (ou l’observer s’il est incapable de s’exprimer).
C’est un symptôme fréquent, qui concerne avant tout les patients atteints d’une pathologie respiratoire chronique terminale (95 %), mais aussi ceux qui souffrent d’une pathologie néoplasique avancée (70 %) ainsi que ceux qui souffrent d’une insuffisance cardiaque terminale (60 %).
Son impact et l’inconfort qu’elle entraîne sont souvent sous-estimés. Elle est source d’angoisse pour le patient et l’entourage, et peut être accompagnée d’un encombrement bronchique, de toux, d’hémoptysie, de douleur, de fièvre, de fatigue, d’insomnie et de dépression. Elle réduit l’autonomie, altère la qualité de vie et isole socialement le patient.
La dyspnée peut être constante ou survenir sous forme de crise. Elle peut être déclenchée ou majorée par une activité physique ou un facteur émotionnel et peut conduire à une détresse respiratoire.
Sa survenue en cas de cancer avancé est associée à une faible espérance de vie.
Évaluation
Le but de l’évaluation est de diagnostiquer le symptôme, d’en évaluer la sévérité et les conséquences, et d’en déterminer si possible la (les) cause(s). Ces différents éléments permettent d’orienter le plan thérapeutique.
• Interroger le patient sur la sévérité de la dyspnée, éventuellement à l’aide d’une échelle numérique ou d’une échelle visuelle analogique. Ne pas se fier à une mesure de la saturation, car il n’y a pas de corrélation entre la présence d’une dyspnée et la sévérité de l’hypoxémie.
• Explorer auprès du patient et de son entourage les représentations et les peurs liées à la dyspnée.
• Rechercher les symptômes associés ainsi que les facteurs précipitants ou aggravants.
• Évaluer l’impact de la dyspnée sur les capacités fonctionnelles et la qualité de vie du patient.
• Compléter l’évaluation par un examen détaillé du dossier médical, une anamnèse et un examen clinique pour déterminer, si possible, la ou les causes de la dyspnée (en fin de vie, elles sont souvent multiples).
• Repérer les causes qui pourraient être réversibles (infection, anémie, embolie pulmonaire, bronchospasme, épanchement pleural, ascite, etc.) en réalisant, s’il y a un bénéfice clinique potentiel, des investigations complémentaires.
• Chez un patient incapable de s’exprimer, relever les signes cliniques qui pourraient refléter l’existence d’une dyspnée (p.ex. modification du rythme ou de l’amplitude respiratoire, utilisation des muscles accessoires, cyanose, transpiration, agitation, etc.) et s’aider d’un outil validé tel que Respiratory Distress Observation Scale.
• Rechercher les signes qui font du traitement de la dyspnée une urgence : stridor, tachypnée (> 30 respirations par minute), altération de l’état de conscience, etc.
Boîte à outils
Étiologies courantes d’unedyspnée en soins palliatifs Respiratory Distress
Observation Scale
Démarche thérapeutique
• Recourir aux traitements étiologiques (p.ex. antibiothérapie, transfusion, anticoagulothérapie, ponction pleurale, cathéter pleural tunnellisé, etc.) chaque fois que le contexte clinique le permet, avec l’accord du patient et en évaluant le bénéfice pour le confort du patient et sa qualité de vie.
• Prendre éventuellement l’avis d’un spécialiste (p.ex. oncologue, pneumologue, cardiologue, neurologue, etc.) afin de s’assurer que toutes les approches étiologiques ont été explorées.
• Lorsque les thérapeutiques étiologiques sont épuisées, s’appuyer exclusivement sur les mesures symptomatiques pour calmer la sensation d’étouffer et l’angoisse.
• Individualiser le traitement, le discuter au cas par cas et le réévaluer régulièrement.
• Favoriser la prise en charge multidisciplinaire (médecin, infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, diététicien, etc).
• Rechercher et traiter les symptômes qui peuvent majorer la dyspnée (p.ex. anxiété, douleur, fièvre, constipation, etc.).
• Donner au patient et à son entourage des explications claires et suffisantes, qui leur permettent de comprendre les causes de la dyspnée et la manière dont elle peut être soulagée.
• Offrir une écoute active, ouvrir le dialogue avec le patient sur les peurs et les risques qu’il encourt, aborder, si le contexte le justifie, la question de la sédation et offrir un support émotionnel.
• Assurer une présence apaisante et rassurante dans les moments de crise.
• Aménager le lieu de vie (p.ex. lit au rez-de-chaussée, chaise roulante ou chaise percée) et prévoir une aide pour les activités de la vie journalière, afin que le patient puisse préserver son autonomie sans puiser dans sa réserve ventilatoire, et réorienter son énergie vers ce qu’il juge essentiel.
• Créer une atmosphère calme avec un espace suffisant autour du patient.
• Aérer la chambre (porte ou fenêtre entrouverte), ventiler le visage du patient (stimulation du nerf V2).
• Veiller au confort vestimentaire (vêtements amples).
• Installer le patient dans la position qui lui convient le mieux (semi-assis, décubitus sur le côté de l’épanchement pleural, etc.)
• Bien hydrater les lèvres et les muqueuses buccales.
• Proposer des techniques de relaxation et de contrôle de la respiration, avec l’aide d’un kinésithérapeute.
• Éviter d’administrer de l’oxygène de manière systématique en cas de dyspnée.
• Mesurer ponctuellement la saturation pour déterminer le bénéfice éventuel d’une oxygénothérapie :
– Chez les patients hypoxémiques (SpO2 < 90 %, pathologie hypoxémiante active), faire un test thérapeutique de maximum 72h. Poursuivre l’oxygène uniquement si amélioration du symptôme, sans reprendre la saturation.
– Chez les patients non hypoxémiques, diriger un souffle d’air frais sur le visage est aussi efficace qu’une administration d’oxygène.
• Administrer par lunettes (souvent mieux tolérées) ou au masque, à un débit adapté à la pathologie (prudence chez le patient BPCO) et à la clinique, en continu ou de manière intermittente.
• Tenir compte du fait que l’oxygène assèche les muqueuses et peut entraîner une dépendance psychologique.
• Limiter le risque de dépendance psychologique en informant le patient du principe du test thérapeutique et de la possibilité d’une administration intermittente.
• Ne pas fumer à proximité de la source d’oxygène, garder l’oxygène à distance des sources de chaleur et des flammes.
• Pour un patient qui séjourne à domicile et bénéficie du statut palliatif, noter sur la prescription le type d’oxygénothérapie demandée (p.ex. oxyconcentrateur), la période (maximum 1 mois, renouvelable de manière illimitée), le dosage (litres/minute et nombre d’heures/jour), l’humidificateur, la bouteille de réserve de 1 m³ et la mention « tiers payant applicable ».

• Les opioïdes doivent être utilisés en première ligne pour soulager la dyspnée. Leur efficacité est bien établie.
• Ils atténuent la sensation de respiration difficile au repos. Leur rôle dans le soulagement d’une dyspnée à l’effort est plus controversé.
• Ils ne dépriment pas le centre respiratoire et ne raccourcissent pas la durée de vie s’ils sont introduits à faible dose et s’ils sont titrés prudemment.
• Leurs effets secondaires (constipation, nausées, etc) sont anticipés et gérés comme lorsque la morphine est prescrite à titre antalgique.
• La morphine est l’opioïde qui a été le mieux étudié dans cette indication.
• En cas de contre-indication ou de toxicité intolérable, la morphine peut être remplacée par un autre opioide (p.ex. fentanyl, oxycodone) mais la place de ces derniers n’a pas encore pu être bien documentée.
Il est recommandé d’une manière générale de/d’ :
• utiliser comme dose initiale
– patient naïf d’opioïde : morphine 15 à 30 mg/jour po ;
– patient sous opioïde à titre antalgique : + 25 à 50 % de la dose antérieure ;
– patient âgé, fragile, BPCO, insuffisant rénal, etc. : réduire la posologie.
• prévoir des entredoses
– 1/10ième de la dose de 24 h, toutes les 4 h, ou toutes les 2 h sous surveillance médicale ;
• effectuer une titration par palier de 25 à 50 %, en fonction de la réponse clinique ;
• privilégier la voie orale. Les formes à libération immédiate ou retardée peuvent être utilisées. La voie parentérale est utile en cas d’urgence ou lorsque la voie orale est compromise. L’efficacité de la morphine par aérosol est controversée.
Les benzodiazépines ne sont pas indiquées en première intention dans le traitement symptomatique de la dyspnée. Elles sont utilisées en association avec la morphine, pour traiter l’anxiété et gérer les crises de panique respiratoire. Elles peuvent également être administrées en cas d’échec d’un opioïde seul.
• Choisir de préférence une benzodiazépine à demi-vie courte.
• Adapter la posologie à la situation clinique et titrer.
• Prévoir des entredoses.
• Crise de panique respiratoire
Alprazolam : 0,25 à 1 mg po
Lorazépam : 0,5 à 2 mg po
Midazolam : 1 à 5 mg sc ou iv
• Anxiété chronique
Alprazolam : 0,25 à 1 mg toutes les 4 à 6 h po ou 1 à 2 mg toutes les 12 h po (sous forme retard)
Lorazépam : 0,5 à 2 mg toutes les 6 à 8 h po, sc ou iv
• Remplacer éventuellement la benzodiazépine par un neuroleptique sédatif chez le patient présentant simultanément une anxiété et une confusion.
CORTICOÏDES
• Utiles en cas de composante inflammatoire : compression tumorale, syndrome cave supérieur, lymphangite carcinomateuse, exacerbation de BPCO, etc.
• Dexaméthasone (5 à 10 mg/jour po, sc ou iv) ou méthylprednisolone (32 à 64 mg/jour po ou iv).
• Administrer le corticoïde de préférence en début de journée.
• Évaluer l’efficacité après une semaine, arrêter complètement le médicament s’il est inefficace ou réduire graduellement sa posologie jusqu’à la dose minimale efficace.
• Associer la prise à celle d’un inhibiteur de la pompe à protons chez les patients traités par un anticoagulant, un AINS ou en cas d’antécédent d’ulcère gastroduodénal.
AÉROSOLS BRONCHODILATATEURS
• Utiles en cas de bronchospasme : BPCO, etc.
• Évaluer l’efficacité et interrompre s’il n’y a pas de bénéfice symptomatique.
DIURÉTIQUES
• Utiles en cas de composante cardiaque.
• Faire un test au furosémide, évaluer l’efficacité et interrompre s’il n’y a pas de bénéfice symptomatique.
ANTICHOLINERGIQUES
• Voir chapitre sur les râles agoniques.
En cas de dyspnée réfractaire, envisager une sédation palliative.
Littérature
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